Groupe Nudii - Cours n°2

[esquisse un pauvre sourire]

Ça veut dire qu'on repart?

- Ca veut dire que c'est un conseil. Je ne t'oblige à rien, c'est à toi de trouver la force de faire un choix maintenant.

[ Plante son regard dans le sien ]

Un choix. Gracieuse ou Aodren...


Suivre l'un c'était inévitablement abandonner l'autre. Un choix qui ressemblait étrangement à celui qu'elle avait du faire, quelques années auparavant: ses parents ou sa carrière. A cette époque, Aodren l'avait encouragée à le suivre, et elle n'avait jamais regretté sa décision depuis.
Mais là, c'était différent.
La seule pression était celle de ce regard qui semblait lire chacune de ses hésitations. Qui furent brèves.
Comme son maitre l'avait dit, elle n'avait plus rien ici, que la mort qui l'attendait, pour elle ou pour la famille qui la connaissait le mieux, après la sienne propre. Ne serait-ce que par amitié pour eux, elle était obligée de partir.
De suivre sa voie.
Chez les Envoleurs?
Les tueurs sanguinaires, les assassins dans l'ombre, la menace qui plane sur l'Empire... Les mercenaires. Mais que lui importait l'avis des autres? Comme l'avait dit Gracieuse, elle n'allait pas se mettre des chaînes... au nom de légendes qui, elle l'avait vu, ne coïncidait pas vraiment à la réalité.

"Je viens"

Allons défier les légendes.

Pour une fois, il lui semblait que les yeux de son maître souriaient, sans même que son visage ne trahisse aucune expression das ce sens. D'un seul mouvement, elle se releva et se dirigea vers la porte.
Souplesse et assurance. Telle était Gracieuse.

- Très bien, allons-y alors. Je t’attends cinq minutes dehors, pour que tu dises au revoir. Utilise ce temps comme tu l’entends.

En l'entendant ainsi parler, il lui apparaissait qu'elle n'aurait pu prendre une autre décision. Mais comment l'expliquer? Face à Aodren elle devrait expliquer des choix dont elle ne comprenait pas vraiment les tenants et les aboutissants. Tout allait trop vite, à l'instinct, bien que n'importe qui préfèrerait une vie stable au dangereux inconnu qui lui souriait.
Vraiment? Pourtant des centaines de mercenaires avaient choisi cette voie. Gracieuse l'avait choisie.
Elle-même l'avait choisie. Au fond, la vie était-elle là où elle l'avait cru?
Cinq minutes. Elle avait cinq minutes pour expliquer ses doutes, ses limites, ses aspirations... A un être qui lui paraissait désormais si lointain. Le matin même elle avait déverrouillé des dizaines de serrures, mais la simple porte en bois qui la séparait de la chambre où se trouvaient son meilleur ami et sa soeur lui semblait plus infranchissable encore.
Elle aurait voulu laisser un message, mais ne savait pas écrire. Ne savait pas quoi dire.
Une réponse qui expliquerait tout. Compréhensible par eux, par lui. Par elle-même.

La porte grince doucement alors qu'une silhouette sombre s'engage dans un monde qui ne l'attendra pas. A elle de trouver son temps, de s'y glisser et d'y trouver sa place. Parce que sa place était là, même si elle ne le savait pas encore...
Car dans la nuit d'Al-Vor, une nouvelle étoile s'était allumée... Une étoile qu'il lui faudrait apprendre à voir aussi bien que son maître avait su la trouver en elle.
A défaut d'une étoile, elle avait gravé une primevère – symbole du renouveau – sur le bois de la table de la pièce principale.


Les deux femmes marchent côte à côte, silencieuses dans la nuit. Les murs de la ville se dessinent de plus en plus nettement au fur et à mesure qu'elles s'en approchent. Après les incidents d'aujourd'hui, les portes seront surement fermées plus tôt qu'habituellement, mais à présent la jeune femme sait que ce n'est pas un problème... presque une opportunité. De sentir la fraîcheur de la pierre sous ses doigts et l'adrénaline circuler dans ses veines. Et cet étourdissement une fois arrivée en haut, cette sensation de flottement les quelques secondes où elle bascule de l'autre côté du mur, cette fierté une fois arrivée au sol. Lever les yeux vers cet obstacle qui nous paraissait infranchissable, et se rendre compte que cette protection n'est qu'une armure de papier. Mieux, un terrain de jeu.
Car il ne faut jamais compter sur les autres pour sa propre protection.
Se faufilant entre les demeures, complètement silencieuse pour Gracieuse et du mieux qu'elle pouvait pour son apprentie, jusqu'à atteindre enfin les écuries, où elles récupérèrent les montures avant de quitter la ville avec le regard suspicieux des gardes dans le dos. Qu'importe, Alaia Tendor n'avait jamais eu de cheval. Un paysan ne sait pas monter.

Le maître mot de la soirée fut Réflexion.
Preuve que l'heure était grave, l'envoleuse puisa dans sa réserve de viande séchée. En la prenant, l'apprentie savait exactement que le temps qui lui était accordé n'était pas illimité, et qu'il n'était nulle question de se reposer. Tant qu'elle serait en compagnie de Gracieuse, l'entrainement prévaudrait sur tout le reste. La preuve en était qu'elles ne dormirent pas de la nuit, se contentant de mettre de la distance entre elle et la cité. Cette longue marche qui mettait son moral et son endurance à l'épreuve lui furent bénéfique. La voie qui l'attendait allait lui demander beaucoup de détermination. Elle avait peut de capacité, mais jamais sa volonté ne lui avait fait défaut. Tant qu'elle savait où aller.
Quel était le but de sa vie?

Le lendemain, elles contemplèrent le lever du soleil lors une courte éreintante qui, étrangement, lui procura un bien-être salvateur. La douleur de ses muscles, loin de ne faire que remplacer celle qui auparavant meurtrissait son âme, pouvait être appréciée comme elle se devait, à savoir comme une nouvelle pierre posée sur sa voie. Voie.
Endurance, pour aller toujours plus loin.
Les exercices à la difficulté croissante s'enchainaient sous le regard placide de leurs montures qui étaient parfois sollicitées lorsque la jeune femme ne trouvait plus la force de faire un pas de plus. Jusqu'au prochaine exercice qui arrivait, inévitablement, au moment où elle trouvait la force de se redresser sur sa selle. Le vent qui les poussait dans le dos annonçait leur retour au Domaine, mais la perspective d'un véritable lit ne fit que rendre leurs efforts plus intenses. Autant ceux d'Alaia pour repousser ses limites que ceux de sa guide pour lui montrer et expliquer ce nouvel univers qui l'entourait et dont elle voulait faire parti.
Celui des Envoleurs.

Celui de la nuit.
Une obscurité bienvenue qui les enveloppa après deux jours d'entrainement qui l'avaient laissée vidée de ses forces. La jeune femme s'effondra sans même réclamer un repas, sous le regard gentiment amusé de son maitre. Celle-ci l'obligea cependant à remplir ses devoirs envers sa monture et à dresser un camp à peu près digne de ce nom, avant de lui tendre un morceau de viande qu'elle avala sans demander son reste. Tout ce qu'elle voulait, c'était dormir.
Le réveil du lendemain ne s'annonçait pas sans une quantité non-négligeable de courbatures...