Groupe Fyrh - Cours n°2

Nouvel essai. Nouvelle réussite.
Je m'immerge dans l'exercice pour ne pas penser. Je suis parfaitement consciente d'être en train de me refermer sur moi-même, mais je ne fais rien contre cela. Je me déteste pour être incapable de maitriser mes émotions. Je le déteste pour me forcer contre ma volonté. Et ces souvenirs qui remontent à ma mémoire par vagues douloureuses. C'est pour éviter de me laisser submerger par tout cela que je focalise mon énergie dans ces tirs, laissant ma rage s'envoler avec mon arme.

Jusqu'à ce qu'Aïwen me devance et la récupère à ma place. Je voudrais éviter son regard. M'enfuir. Revenir en arrière … revenir à cette falaise … retrouver ma famille … Mais si je suis là, à essayer d'avancer sur la Voie Marchombre, c'est pour aller de l'avant. Parce que j'espère toujours au fond de moi que mon Maître à la clé de mon futur, je plonge le bleu de mes yeux dans le vert des siens. Son sourire n'apaise pas le mélange d'anxiété et d'obstination butée qui m'agitent. Je crains qu'il ne me reproche mes peurs irraisonnées, mes doutes partagés.

- Je vous ai expliqué pourquoi je vous apprends à vous servir des armes, en général. Parce qu’il ne faut pas se leurrer : poignard ou arc, c’est la même chose, et la mort peut être aussi violente !

Voilà qu'il souligne une de mes absurdités. Pourquoi suis-je capable d'utilise un arc et non un poignard alors que les deux peuvent tuer. N'y avait-il pas une flèche plantée dans la montagne de corps brûlants ? Si … surement … Sauf que j'ai apprivoisé l'un dès mon enfance, et ait associé l'autre avec la mort de mes amis. Comment faire comprendre cela à Aïwen ? Ou comment soigner cette blessure qui s'est rouverte en moi?

- Pourtant, vous connaissez et maniez déjà la plus puissante de toutes les armes. Chaque jour. Vous l’entraînez quand vous courrez, quand vous caracolez, quand vous escaladez, quand vous respirez… Le corps. Oui, le corps est la plus redoutable de toutes les armes… Regardez, je peux juste effleurer un endroit…

Sa main glisse le long de mon cou, frôle un point sensible et repart. Ce simple geste à l'allure inoffensive me fait frissonner et réveille en moi une douleur sourde, en particulier dans mon dos. Les muscles de mes jambes se crispent un instant puis se délient. Comme si pour elles, le temps s'était arrêté une seconde.
Mes yeux interrogateurs fixent Aïwen. Qu'a-t-il fait ? Je suis certaine qu'une pression plus importante aurait eu des conséquences plus douloureuses. La plus puissante des armes hein ? Que veut-il me prouver ? Que je devrais plus avoir peur de moi que d'un bout de métal tranchant ? Raté. Une fois de plus, je n'associe pas la mort de mes amis avec un corps humain. Tout ce dont je me souviens, ce sont ces éclats métalliques et ces blessures béantes. Rien qu'une main ne puisse faire.

Aïwen enchaine avec une nouvelle phrase tentant de me faire comprendre que … que quoi au juste ? Que le sang est une chose, la mort en est une autre ? Ses paroles ne touchent que du vide. Je le sais.

- As-tu peur de ton corps, Ange ?

- Non.

La réponse jaillit sans une réflexion de ma part. Ma bouche s'ouvre à nouveau, tentant d'articuler une pensée, mais rien ne sort. Les yeux soudain tournés vers le sol, je cherche en vain les mots pour exprimer ce que je ressens.
La pierre où Aïwen avait posé les poignards me sert de siège improvisé. Ainsi installée, je suis complètement dominée par mon Maître, mais au moins j'ai un appui. Le son atteindra toujours ses oreilles, si j'arrive à en laisser sortir un…
Un à un, les mots s'alignent dans ma tête, et je les laisse finalement sortir de mon cœur.

- J'ai juste peur de la mort et du sang pour ce qu'ils réveillent en moi. La nuit ne ramène pas les cauchemars de mon passé, mais une simple goutte de sang le peux.
Comment pourrais-je ôter la vie d'un homme en pensant que sa fille, sa femme, l'attend chez lui ? Je ne veux pas que des gens ressentent la douleur que j'ai pu ressentir. Ne puis-je vraiment pas me contenter de devenir une bonne archère ? En chassant je n'ai pas l'impression de faire du mal à quelqu'un … je n'ai pas l'impression de briser l'harmonie. N'est-ce pas d'ailleurs la base de la Voie des Marchombres : l'harmonie ? Je ne vois pas où elle se trouve dans un meurtre, avec ou sans sang.

- Qu'aurais-tu fais si j'avais soudain essayé de te violenter ?

- Vous ne l'avez pas fait.

- Et si je l'avais fait ?

- Je me serais défendue.

- Tu m'aurais frappé, tu aurais tenté de me blesser. Au fond de toi tu aurais tenté de me tuer.

- Non je … je …

- Tu ne seras pas un monstre parce que tu blesses ou tue Ange. Tu seras un monstre uniquement si tu le fais sans raison. Sache aussi que tu seras un monstre si tu te laisse mourir et que tu oublies ceux pour qui tu compte. Que tu m'oublies …




- Je demande juste de savoir se défendre. De pouvoir protéger ta vie. Parce que si tu t'en allais vers les cieux, tu as l'air de croire que tu ne serais pas regrettée. C'est faux.

Comme je sentirai si Aaron venait à mourir, comme j'ai déjà ressenti la mort d'un apprenti à des dizaines de kilomètres, je sentirai quand tu t'en iras, quand vous vous en irez, et cela génèrera une tristesse infinie. Tu comptes, Ange. Pour toi, mais aussi pour moi. Nous sommes tous importants, dans un sens ou un autre.




Je ne sais pas … je ne sais plus … j'ai les yeux ouverts mais l'esprit fermé. Je n'arrive pas à voir autre chose que cette répugnance et cette peur que j'ai pour le sang humain et la violence.

Je lève mon visage et tourne le bleu trouble de mes pupilles vers mon Maitre. Je ne souhaite qu'une chose : qu'il se noie dans la tourmente qui s'y agite. Qu'il paie pour ces mots que j'ai envie d'oublier. Pour ces mots qui brisent mes certitudes. Je lui en veux. Tout simplement.

Je me lève soudain, sans avoir dit un mot, sans avoir hoché la tête. Aaron est parti sans qu'Aïwen n'ait rien fait pour l'en empêcher, il me laissera donc partir à mon tour si je le décide. En moi s'impose une simple décision : je dois les quitter avant que mon esprit n'implose.

- Votre Voie n'est pas la mienne Aïwen. Vous êtes ce que vous êtes mais je suis ce que je suis. Je ne peux pas vivre sur vos pas.

Je le salue d'un hochement de tête puis tourne les talons. En quelques gestes précis, Brume est de nouveau sellée et prête à partir. Elle renâcle un instant quand elle comprend qu'elle va devoir quitter Luayy et Kami, avant de céder à la pression de mes jambes et partir au petit trot dans les bois.
Devant moi, se dressent arbres et buissons, tendant vers moi leurs griffes qui éraflent mon visage et mes bras. Sans importance. Je ne suis plus qu'une coquille vide, incapable de réagir.

Ces bois étaient-ils aussi sombres à notre arrivée ? Ou était-ce mon insouciance qui leur donnait l'éclat de la vie ? Ces ombres qui s'amoncèlent devant moi sont à l'image de ce triste futur qui m'attend.




Mes yeux vides contemplent le soleil qui se couche au loin. Les couleurs dont se pare le ciel font ressortir le bleu qui me surplombe toujours. Il a beau être plus fade qu'une heure auparavant, il n'en reste pas moins un de ces bouts de ciel printanier teinté de douceur. J'aurais pu apprécier sa beauté, me perdre dans les méandres des rais de différentes couleurs qui habillent les cieux. J'aurais pu … sauf que je ne le fais pas. La seule chose que je ressens, c'est ce vide au creux de mon ventre et cette envie de pleurer qui refuse de se transformer en réalité. Je n'ai pas la force de faire couler de l'eau hors de mon corps … je me sens mal comme ce jour où j'étais perchée sur la falaise … pire encore. Je n'ai même plus envie d'en finir avec mes jours.

Je ne sais plus. Je ne veux plus.

Brume cesse de brouter et tourne ses petits brillants vers moi. Elle commence à s'impatienter de ne plus recevoir d'ordre mais de devoir me porter quand même. Elle ne comprend pas plus que moi l'absence de vie dans mon corps. Elle tente de tirer sur un bout de mon pantalon sans réussir à l'atteindre, mais son message est clair " Réveille-toi. Bouge." Nos regards se croisent sans que l'étincelle dans ses yeux n'en allume une dans les miens. Une vague idée traverse mes pensées silencieuses, activant mon corps comme un vulgaire pantin. Mes jambes glisse le long de la selle et mes mains s'emparent des rênes pour guider la jument vers la branche d'un arbre solitaire. Ceci fait, je retire l'équipement du dos de Brume et la laisse en paix, m'éloignant de plusieurs pas.

Mon esprit s'éveille un peu et je réalise enfin où je suis. Le souvenir des ces heures qui m'ont menées jusqu'ici est trouble, comme si ce voyage n'avait pas été réel. Je suis ici, perdue au milieu d'une étendue herbeuse, sans un chemin à proximité. Seule dans le silence qui berce la nuit. Je ne sais pas où je suis. Est-ce que je sais seulement qui je suis ?

Je m'allonge dans l'herbe et laisse mes yeux ouverts contempler les étoiles qui s'allument une à une au dessus de moi. J'attends qu'ils se ferment et me laissent oublier cette journée et cette vie, mais je suis tellement vide que même le sommeil ne m'habite pas. Alors tout simplement mon esprit divague et se perd …




- Mélo tu as vue comme la vue est belle d'ici ?! On peut même apercevoir Fériane au loin ! Avec ce soleil couchant on pourrait la croire en feu !




Parce que dans tes yeux, j'ai vu le reflet des miens. Parce qu'en eux j'ai vu ces morts qui hantent nos jours. Parce que rien ne me ferais plus de mal que de voir cet éclat dans la famille d'un homme mort sous mes mains. Pour cela je ne tuerais jamais d'être humain.




Un jour je serais un ange et la nature m'offrira la force de voler.


- Quelle qu'elle soit, suis la Voie de ton cœur jeune apprentie. Toujours. Mais n'oublie par ce maitre mot … Vivre.




Je ne sais pas ce qu'il s'est passé avec ton maître. Mais je pense qu'il faut que tu accepte ton passé ou c'est lui qui te retiendra. Ce sont les épreuves, insignifiantes ou graves qui construirons celle que tu seras demain. N'oublie pas les moments tristes, les erreurs que tu as faites, les injustices que tu as subies. Mais ne les laisses pas obscurcir ton jugement et te faire oublier le plus important : les bons moments, les sentiments, le bonheur.




- Et toi, qui es tu ?




Qui je suis ? Mélo. Ange. Monstre. Apprentie. Gamine. Fantôme. Folle. Idiote. Je ne sais pas. J'ai dit à Aïwen que je suis moi. Qu'est cela veux dire au juste ? Moi … qui est-ce donc moi ? Est-ce cette fille que j'ai contemplée dans un éclat de miroir à l'Académie ? Est-ce juste cette enveloppe faite de chair ? Un cocon vide ?
Un réceptacle.
Un témoin.
Le souvenir de cette heure passée au bord d'une falaise, à jouer avec les éléments, m'offre un bout de réponse. Je suis là pour apprécier ce que ce monde a à me confier. Ses forces. Ses faiblesses.
Sa vie.

Le monde est une balance que je veux faire tendre vers le bien. Est-ce un crime d'en enlever ceux qui commentent un crime ou tentent d'en commettre un ? Les mots de ces gens que j'ai croisé, que j'ai aimé, que j'ai apprécié, que j'ai perdu. Tous ces mots se mêlent en moi, se font source vive et m'entrainent dans leur flot.

Vis.

Mon premier maitre avait raison. Ces quelques lettres doivent me guider. Je ne tue pas pour tuer. Je tue pour vivre.

Un éclat de douleur inonde mon corps alors qu'une étincelle nouvelle s'allume en moi. Je ne sens plus cette peur qui m'inondait ni ce vide oppressant dans lequel je sombrais. Je ne sens plus que cette belle certitude qui brûle en moi. Une fois de plus je me sens revivre, et même le sentiment d'avoir commis une erreur en fuyant mon passé ne peut pas m'empêcher de me sentir bien.

Remerciant le souvenir de mes amis, je me lève et me dirige vers Brume qui se repose sans un bruit. Comme eux, elle est toujours là prête à me mener vers mon futur.

- Je compte sur toi ma vieille.

J'embrasse son museau velu avant de la harnacher pour la troisième fois de la journée. Cette marque d'affection semble être fort appréciée par ma monture qui hennit doucement et part presque joyeusement dans la direction qui nous mènera à un certain demi-faël de ma connaissance. Dans mon inconscience, j'ai avancé en ligne droite, et j'espère que cela nous permettra de retrouver Aïwen.
A moins qu'il ait bougé avec Shalie.
Cette crainte à l'esprit, je murmure une prière muette aux dieux du ciel pour qu'il m'ait attendu.




Tenant Brume par la bride, je franchis les derniers mètres qui me séparent du camp. Le son de chevaux dans la nuit rassure mon cœur qui bats à cent à l'heure depuis que j'ai retrouvé la trace de mon Maître. Il est toujours là.
D'ailleurs c'est lui qui m'accueille lorsque j'attache ma monture aux côtés de ses compagnons équins. A-t-il dormi depuis que les étoiles se sont levées ou a-t-il veillé en m'attendant ? Le jour n'est pas bien loin et l'idée qu'il ait put m'attendre m'empli à la fois de crainte et de plaisir. Le poids de son regard m'apporte un peu plus d'appréhension pourtant je me force à le fixer et à énoncer une simple vérité :

- Je suis Marchombre Aïwen et je vous ai promis trois ans de ma vie. Acceptez-vous toujours de me guider ?


[Je me suis un peu emportée -_-' . Si un truc te gêne Aïwen (ou même Shalie ^^) dis le et j'éditerais. Je voulais juste qu'Ange se fasse une raison et en bonne Marchombre elle avait besoin d'un brin de solitude ... Si vous voulez faire plusieurs Rps pour combler le temps où Ange a disparut, allez y ]