Entre chien et loup [TERMINE]

- Ah, la liberté des marchombres... Vous m'étonnerez toujours. Quoi qu'il en soit, je reste persuadé que les choix ne peuvent mener à rien de bon, et sûrement pas à une quelconque liberté, mais ne t'en veux pas de cet échec : il est plus difficile de me convaincre que de convaincre un Brûleur de ne pas t'attaquer !

(rire amusé ^^ )

- Je te l'accorde : je ne le suis pas. Et ne le serais jamais. La liberté est le rêve d'un autre homme, pas le mien...

(Un regard perdu au loin, un silence, et puis...)

Je te crois, Miss la Croqueuse d'hommes. Oui, peut-être que toi, tu es libre. J'espère que la petite chose qui dort dans son drôle de lit aura cette chance, elle aussi.

- Ca... on ne peut pas le savoir. On ne pourra que le constater, le moment venu.

[Raaaaaaaaaah, j'oublie toujours ce RP, c'pas possible ! u_U ]

[Gniahaha. Tu mérites un gage...]

Gil sourit.
Ce n’était pas rare qu’il adresse un sourire à une femme, c’était rare qu’il lui en offre un aussi sincère. Oui, il espérait sincèrement que la fille de cette femme ait la chance de devenir comme sa mère. Belle, radieuse, libre. Il n’avait jamais mieux compris la liberté d’un marchombre qu’en cet instant, cet instant précis, alors que le vent jouait doucement dans ses cheveux et déposait une bise murmure sur sa joue ; une liberté qu’il faisait semblant de connaître, lui aussi, allongé dans l’herbe molle et prêt à se lever d’un bond pour suivre la direction de ce vent, où que ce dernier puisse aller. La vraie liberté, comme celle qui brûlait dans les yeux violets de Miss. Celle qui avait brûlé dans les yeux d’un homme de son passé, un homme aux yeux noisette.

Créer ses propres choix… Il a avait essayé. Il avait vraiment essayé, et il aurait voulu le dire à Miss, lui expliquer que c’est justement en essayant qu’il avait échoué. Et l’échec laisse un goût bien âcre sur la langue ; il la tint muette. Comme toujours, il se contenta de sourire à moitié, puisqu’après tout, il n’était plus qu’une moitié de ce qu’il avait été – de ce qu’il aurait dû être. Mais ce sourire-là avait des accents troublants de sincérité qui ne devaient leur existence qu’à la présence de cette femme. Il ne savait pas très bien pourquoi, il l’appréciait. Et pas seulement parce qu’elle était belle.

La petite dormait toujours. Alors Gil croisa les mains derrière sa nuque et laissa son regard dériver au gré des nuages qui glissaient dans le ciel, juste au-dessus de lui. Il avait souvent cette impression que la vie est un nuage, tantôt sombre, tantôt blanc, un jour gonflé de pluie, le lendemain aussi léger qu’une plume, et puis tout à coup, qui s’effiloche et qui disparaît… A nouveau, il sourit. Comparer sa vie à un nuage. Seren aurait adoré ça. Arrête de rêver, cabochard. La vraie vie, tu sais, ça n’a rien à voir avec un nuage. Pourquoi est-ce que tu es tout le temps dans tes pensées ? A quoi penses-tu, cabochard ?

A rien. Un Envoleur, ça ne pense à rien. Voilà. Mais Gil n’était pas un Envoleur ordinaire, sinon il y a bien longtemps qu’il serait rentré au Domaine. D’ailleurs, il ne serait jamais parti. Et s’il était parti quand même, il n’aurait pas discuté avec Miss, il l’aurait combattue. Et il serait mort, parce que Miss avait sa fille, et qu’elle ne se serait pas permise de la laisser orpheline. Voilà à quoi pensait Gil, en regardant les nuages. A un Envoleur qui n’en était pas un, à une vie qui n’en était pas une. Au résultat d’un choix qu’il avait cru juste, le seul qu’il se soit créé, celui qui devait peser sur son cœur jusqu’à la fin de ses jours. Il n’avait pas seulement l’allure d’un condamné, il en était un ; seulement, il était à la fois le bourreau et la victime, et un tel paradoxe ne peut laisser qu’un sourire désabusé sur les lèvres – celui qui était accroché au siennes reflétait toute l’amertume d’une vie jalonnée de mauvais choix. Alors, la liberté…il n’en rêvait pas. Parce qu’un homme comme lui, quand il est libre, il ne fait plus seulement des choix, il fait basculer dans la réalité toutes les erreurs de son existence. Dans son passé, la femme aux yeux bleus, celle qui avait épousé l’homme aux yeux noisette, avait rêvé de liberté, elle avait cru pouvoir échapper à tous les mauvais choix qu’elle avait fait. Ça les avait tué. Tous les deux. Non.
Tous les trois.

Agacé que ses pensées dérivent au gré d’un courant qui n’était pas le bienvenu, Gil roula sur le côté et, se redressant sur un coude, appuya sa tête dans sa main gauche, reportant son attention sur Miss. On verra, avait-t-elle dit au sujet de sa fille. C’est ce qu’il fallait faire, en effet. Vivre l’instant présent, et seulement l’instant présent ; laisser au passé ce qui appartient au passé et l’avenir ce qui est à l’avenir…

- J’ai l’impression que je ne suis pas le premier Envoleur que tu rencontres.

Impression claire et tenace, depuis que Miss avait mentionné la prophétie. L’Amazone était intrigante ; il s’attendait à une réponse à la mesure du mystère piquant qui entourait sa personne. Oui, il était curieux, et ça aussi c’était rare. Un sourire, une pointe de curiosité peu ordinaires… pour une femme qui n’était pas ordinaire.
Dans l’esprit de Gil, ça se valait.

Gil ne dit rien pendant un long, un très long moment. Il y avait dans les paroles de cette femme tant de force qu’il pouvait en ressentir la teneur dans ses os. Une flamme singulière brillait dans le violet pur de ses yeux. Il se demanda s’ils scintillaient toujours de la sorte ou, lorsque la marchombre était triste ou bien en colère, s’ils se ternissaient parfois. Oui, c’était une bien drôle de personne – une bien drôle de marchombre, même. Sans aucun doute une excellente recrue pour l’Ordre, l’Académie, et évidemment une bonne mère, en plus d’être une compagne fidèle. La personne idéale.

Alors, elle existait vraiment… Il s’était posé la question bien longtemps. Voir ses parents s’entretuer au sens premier du terme peut avoir certaines conséquences sur la psychologie d’un enfant – d’un homme, tout simplement… Il avait développé une méfiance hors du commun à l’égard des sentiments, tout en abandonnant respect et honneur. Ça ne lui posait aucun problème de passer la nuit avec une femme pour ensuite la laisser tomber au petit jour. Ça ne l’embêtait pas de se faire promouvoir au rang de maître puis de fuir le Domaine tel un déserteur. Le bien, le mal se mélangeaient dans son esprit, brouillant les limites et traçant pour lui une voie unique, une direction qui lui était propre et qui filait tout droit vers un mur.

Gil le savait. Perdu ? Il l’était depuis ce drame qui l’avait fragilisé comme l’on fragilise du verre en le heurtant. Si sa vie était en verre, alors elle était pleine de nervures, infimes petites coupures prêtes à céder au moindre nouveau choc de la sorte. Ce verre là ne tenait encore que par une succession de hasards, ainsi qu’une dose monumentale de volonté. Mais cette volonté de fer pouvait elle aussi avoir de sérieuses conséquences ; celle de ne faire aucun choix, jamais, était le plus lourd fardeau qu’il devait désormais porter. Et ce mur, tout au bout de la route, il ne le voyait que trop bien. Plus net de jour en jour, il ne l’empêchait pas moins de vivre sa vie de verre brisé et de profiter de chaque instant, chaque seconde comme s’il s’agissait de la dernière…Car Gil n’était pas idiot. Mourir, au fond, il n’attendait que cela. Alors, quitte à exploser le verre, autant avoir bu tout son content auparavant !

- Je n’ai pas besoin de quelqu’un ou de quelque chose pour guider ma vie, dit-il en fin, alors que leurs ombres s’agrandissaient sur le sol au rythme de la course du soleil. C’est moi qui suis aux commandes et je me suffis.

Dépliant ses longues jambes, l’envoleur se redressa souplement et épousseta machinalement son tabard. La pause avait assez durée ; il était temps de partir. Sous le regard impassible de Miss, il ramassa son arc, balança son sac sur son épaule et jeta un coup d’œil dans le berceau.

- Est-ce que ça fait autre chose que manger et dormir, ces choses-là ? demanda-t-il avec une expression rappelant celle d’un enfant à la fois curieux et surpris. Oh, et puis qu’est-ce que j’en ai à faire, moi…

Un fin sourire démentait son marmonnement d’ours mal léché, bien qu’il n’en ait réellement rien à fiche. Il avait l’âge d’être père, mais il n’aurait jamais d’enfant. Avoir un enfant, c’était courir le risque de mourir avant qu’il ait atteint l’âge adulte ; l’abandonner dans un monde hostile et faire de lui ce qu’il était à présent. Et Gil ne souhaitait cela à personne.

- Ravi d’avoir passé un petit moment en ta compagnie, Miss la croqueuse d’hommes. Qui sait, peut-être échangerons nous des coups plutôt que des paroles, la prochaine fois ?

S’il n’y avait pas de bébé entre eux, oui, c’était possible. Encore fallait-il que le hasard les place à nouveau sur la même route. Un signe de tête en guise d’au revoir, et Gil se détourna du petit bosquet ombragé. En passant devant la jument de Miss, il tendit son poing fermé et effleura les naseaux frémissants de l’animal qui, avec ce même air pincé qu’ont les femmes lorsqu’elles sont vexées, agita la tête avec agacement. Il sourit, reprit sa route.
Sans se retourner.

[C'est court... mais ça fait un petit moment que ça traîne alors je me suis dit que c'était peut-être bien de s'arrêter-là. En revanche, c'était très sympa. Merci, Miss ! Je te laisse répondre une dernière fois aussi, si tu veux.]

C’était bien triste. Le long silence de l’homme en face d’elle confirmait ce qu’elle pensait : oui, sans but, la vie est bien terne, sans éclat. On avance, mais on ne sait pas pourquoi. Pour vivre ? Dans ce cas là, le mot « survivre » conviendrait mieux. Elle trouvait cela triste pour lui, mais ne pouvait rien y faire. Elle aurait pu y faire quelque chose, certes, mais ce n’était plus le cas, et elle ne voulait prendre aucun risque pour Ylléna. Elle voulait retrouver Erwan, et lui montrer combien leur fille avait grandi. Parce qu’elle dormait toujours, dans son harnais, tranquillement. Les paroles qu’il prononça, si elles étaient sans doute sincères, sonnaient horriblement faux à ses oreilles. Sa question qui ne voulait pas de réponse lui tira un léger soupir. Il semblait chercher justement le but de sa vie, ce « jeune homme ».

- On a tous besoin de quelque chose pour avancer. Pour vivre. Je pense que tu ne fais que survivre…

Un sourire triste étira ses lèvres, mais elle le regarda partir sans rien dire, et sans rien faire pour le retenir. Après tout, à quoi bon ? Il faisait ce qu’il voulait, et elle n’allait pas l’en empêcher. Elle avait déjà à faire avec Ylléna. Mais cela ne lui empêcha pas de lui lancer un salut lorsqu’il s’en alla. Nyu ne l’aimait pas, et cela fit rire Miss. Alors, posant son regard sur sa fille endormie, elle attendit que cette dernière se réveillât. Et pour cela, elle s’immergea dans la Gestuelle Marchombre. S’accordant avec l’environnement, avec elle-même et avec sa fille endormie juste à côté. Et elle s’adonna à ses exercices quotidiens d’assouplissement et de musculation pour retrouver la condition physique qu’elle avait avant sa grossesse.

Alors, elle ferma les yeux. Et inspira. Tranquille.

[ Encore plus court, mais je voulais le clore ! =D ]